218 mètres
d'escalade. Les cheminées du Vent de la grotte des Foules. Travaux du SC San‑Claudien
de +45m à +263m.
Selunca
n'14 - avril - mai - juin 1984
La grotte des Foules
1975
: quelques spéléos,
effectuant des levés topo,
découvrent, après avoir parcouru une série de puits et de boyaux, à 1500 mètres
de l'entrée,
une gigantesque cheminée, de cinq mètres sur dix de
sections (4). Il est bien connu que le
spéléo chasse le courant d'air, car. lorsque «ça souffle», «ça continue». Et
ici, ça souffle ! Un véritable poumon de la terre !
Dominique GUYETAND
16 bis lot Pavillon
39360 MOLINGES (2002)
Mais la grotte d es Foules, de par son régime
hydraulique, prend souvent des allures de «piège à rats» 1 De plus, l'accès à
la base de la cheminée est assez long et éprouvant. C'est pourquoi, pendant
six ans, les San‑Claudiens vont rêver de ce tube géant à peine entrevu...
L'ESCALADE
En 1979, fortuitement, après désobstruction d'une étroiture ensablée et soufflante,
un accès plus rapide est trouvé, menant à la cote +45m. Deux ans s'écoulent
encore et, en 1981, les premiers coups de marteaux résonnent dans cette
«cathédrale», maniés à la fois avec frénésie et avec crainte par deux membres
du SC San‑Claudien.
La «herse» des siphons a été
momentanément levée, mais pour combien de temps ? Jusqu'à présent, toutes les
explorations y avaient été faites à vitesse éclair, durant 5 à 8 heures au
maximum. Une escalade en demande bien davantage. Et puis, savoir que, en moins
de 3 heures, un bon orage peut provoquer une mise en charge de 90m pendant
plusieurs semaines, rendant de surcroît les conduits infranchissables en
plongée, refroidit quelque peu !
Refroidis, ils
le sont, du moins le second qui assure son coéquipier accroché sur ses étriers.
Après neuf heures sous terre, la cote + 70 m est atteinte, soit 25 m
entièrement gravis en escalade artificielle. Résultat très satisfaisant grâce à
une roche assez saine et quelques prises naturelles. Mais, somme toute, il n'y
a pas de quoi pavoiser. Vers le haut, à perte de vue, le noir ! Aucun soupçon
de départ horizontal. Quant à la cote de + 70m, une suite en escalade
n'apporterait pas encore un supplément de dénivellation à la cavité. Alors ?
Alors, ce n'est qu'à la fin du
mois d'août que reprennent les escalades, toujours vers le haut, face à ce
courant d'air glacé qui gèle automatiquement celui qui reste inactif quelques
minutes ! Seule chose différente cette fois, la nature des parois. De qualité
particulièrement médiocre, elles sont ici recouvertes de placages d'argile,
quand ce n'est pas de concrétion pourrie, voire de mondmilch. Aspect presque
classique des conduits abandonnés par une eau jadis très active. Conséquence,
seulement l5m de progression cette fois, accrochés à des spits plus que douteux
! Et même, en prime, un «vol» de 5 m, causé par la rupture d'une stalagmite peu
coopératrice. Cote atteinte: + 85 m.
C'est dans ces conditions,
excluant toute utilisation d'araignée ou de plate-forme d'escalade, que la
cote + 130m est atteinte au terme de la saison, le 21 novembre, soit au total
au prix de 75 heures sous terre en huit séances, avec la participation, au
cours de l'une d'entre elles, du groupe Catamaran de Montbéliard, et au cours
d'une autre, d'un spéléo d'Oyonnax. Plusieurs départs à +100met +105m, sont
explorés, mais ils se révèlent exempts de courants d'air. De plus il s'agit de
puits (l’un d'eux nous permettra de redescendre presque d'un seul jet jusqu'à +
30m).
En 1982, la météo ne permet
l'intrusion des spéléos qu'à partir du 10 juillet. La remontée des 85m est
cette fois un jeu d'enfant puisque effectuée sur cordes fixes posées l'année
précédente. Cette verticale est en fait composée de trois tronçons distincts de
40, 13 et 8 m, séparés chacun par des passages étroits. Elle ne nécessite pas
moins de huit fractionnements ! Au-delà du dernier spit, une vague
«plate-forme» sera la base de départ pour une succession de six escalades.
Elles permettent, le 18 août, de sortir enfin de ce quatrième tronçon, haut de
60m (cote + 180 m).
Après maintes frayeurs et
chutes de pierres, une vaste salle est atteinte. Resplendissante de propreté,
cette fois, elle est cependant sans issue ou presque, car la suite est
évidemment ... vers le haut !
A ce point, chaque mètre de
verticale renforce la position de la cavité en tête de la spéléométrie du
département. Par contre, les espoirs de «shunter» les zones noyées
s'amenuisent, et pour cause, à chaque coup de marteau. Le 17 septembre,
l'escalade reprend de plus belle. A + 195 m, une traversée soulignée par une
nouvelle chute (toujours ces maudites concrétions !) nous introduit dans une
salle. Excitation vite réfrénée, vu le panorama ! Pas moins de quatre départs
au plafond et, sans doute, un seul parcouru par le fameux courant d'air.
La semaine suivante verra
deux «chasseurs de vent» gravir presque au hasard une des quatres cheminées,
avec succès. Le vent salvateur est retrouvé à un rétrécissement à la cote
+200m. Ce rétrécissement est tout simplement dû à un gigantesque empilage de
blocs de toutes tailles, menaçant ‑ faut‑il le préciser ‑ à
chaque mouvement un peu vif de notre part de basculer dans lé vide ! Ce tronçon
est baptisé d'emblée «Cheminée Damoclès», et la salle lui faisant suite «Cheminée
de l'Apocalypse». Au terme de 1982, dix mètres supplémentaires sont gagnés dans
cette désormais grandiose cheminée (section de base 10 x 10m). Cote atteinte +
218 m
En 1983, des chutes de neige
tardives alimentent tard dans la saison le réseau. La première sortie peut
enfin avoir lieu le 29 juillet. Rapide, elle est consacrée à la vérification et
à la remise en état des quelques 230m de cordes immobilisées dans les
cheminées. Deux jours plus tard, l'escalade proprement dite reprend, et un
départ de galerie est atteint. Un boyau extrêmement glaiseux est exploré
jusqu'à la cote +240m ; arrêt sur étroiture, sans courant d'air.
Le 12 août, à 16 heures,
l'escalade bat de nouveau son plein. Alors que le grimpeur de tête entame une
traversée aux pitons dans de la concrétion spongieuse, une soudaine montée
d'eau au plafond rompt la monotonie des opérations. De toute évidence, c'est
une crue... Panique à bord ! La fuite jusqu'au point critique du «piège» se
fait sans délais, non sans avoir pris le temps de rassembler quelques vivres.
La descente des 180m de puits ‑ soit‑disant fossiles ! ‑
s'effectue sous des cascades d'environ 2 l/s. La course contre la monte se
termine une heure plus tard devant un splendide siphon, gargouillant avec un
bruit évoquant le passage d'une locomotive.
Un bivouac de survie, dans
des couvertures du même nom, s'impose alors. Durant cette innommable
«caillante», passée à tenter vainement de dormir, BenoÎt trouve moyen de
s'initier à la théorie de la plongée en scaphandre, sous les conseils avisés de
Dominique ! Les deux naufragés revoient le jour 24 heures plus tard (5), après
31 heures sous terre et un joli baptême de plongée... La mise en charge n'a été
que de vingt mètres, et la décrue rapide.
Nullement découragés par leur
travail de fourmi, et maintenant animés de l'espoir de déboucher sur le
plateau, ils reviennent le premier jour d'octobre. Toujours plus haut, avec le
courant d'air conducteur, ils atteignent après 15 heures sous terre, + 245 m.
L'équipe qui ressort le lendemain est porteuse d'une mauvaise nouvelle. Le rêve
est peut‑être terminé. En effet, à +250m, il existe une effrayante trémie
suspendue, occupant toute la section de la cheminée. Après maintes réflexions,
remises en question et calculs, les deux plus acharnés s'attaquent à l'élargissement
d'un passage sous la trémie. Une étroiture, réellement très exposée, est
ouverte. Les matériaux, déblayés délicatement, sont acheminés au moyen de kits
sur une margelle inférieure ; le moindre bloc risquant dans sa chute de détériorer
les cordes fixes peut également obstruer définitivement les passages plus
étroits situés en dessous.
En deux séances, la trémie
est pénétrée sur 15 m de dénivellation, jusqu'à la cote + 263 m. Une cheminée
latérale, sans courant d'air, est également reconnue. Un courant d'air, très
faible à cause de la saison tardive, est cependant décelé entre les blocs de la
trémie. La suite est bien sûr vers le haut...
CONTEXTE GÉOLOGIQUE
La cheminée est située dans la partie ouest du réseau,
escaladant le flanc du synclinal au pendage ici presque constant, orienté N‑NO
45°. Le réseau se développant vraisemblablement à la limite de l'Argovien,
la cheminée s'élève ici dans le Rauracien, à la rencontre du Séquanien et du
Kimméridgien. Les conduits sont creusés aux dépens d'une diaclase très marquée,
orientée à 300° environ, et se dirigeant vers l'extérieur du massif. Les
sections, très caractéristiques, sont en forme d'ellipse très prononcée.
DESCRIPTION
Les inventeurs utilisant
l'appellation «Cheminée du Vent» pour l'ensemble du conduit ascendant, il
convient de rappeler qu'elle est en fait formée d'une succession de six
tronçons différents. Ils sont tous décalés et affublés du terme «cheminée».
Ainsi, de la lucarne d'accès à + 50 m, on débouche dans le premier tronçon
baptisé «Cheminée du Vent». Sa hauteur totale est de 50m, compte tenu de deux
ressauts situés dans sa partie inférieure. La «Cheminée Catamaran» lui succède,
haute de 13 m. Elle a davantage l'aspect d'une salle que d'une cheminée, et
donne accès à deux puits parallèles d'origine tectonique, le «puits de la
Chute» (13 m) et le «P70», relativement étroits, qui contrastent avec la
cheminée par leurs parois propres et nues. Ils se terminent tous deux par
rétrécissement de la diaclase.
Plus haut, s'élève la courte
«Cheminée du Ventilateur» (8 m), suivie de l'étroiture du même nom. Fait suite
la «Cheminée Bolino», haute de 60m, à la forme elliptique très marquée. On
débouche ensuite dans la Salle des Chômeurs (10x6m), base de la Cheminée
Damoclès, haute de 30m. A mi-hauteur de «Damoclès», au plafond de la salle
Sébastien, s'ouvrent trois départs inexplorés.
La Cheminée de l'Apocalypse,
haute de 40m, est la seule présentant une section circulaire. En fait, de forme
initiale elliptique, elle est à présent ronde, car sa partie «pointue» se
trouve occupée par une imposante coulée de concrétion. A son sommet, une
trémie, constituée de blocs de toutes tailles, barre la totalité du passage et
forme plafond. Les dernières explorations ont démontré que la trémie a une
épaisseur supérieure de 15 m et que la continuation est vraisemblablement vers
le haut. Il est parfaitement envisageable que la suite existe, soit sous forme
de cheminée à forte section, soit sous forme de grande salle à détente
importante.
MORPHOLOGIE
Les différents tronçons qui
composent cette cheminée exceptionnelle de 230m doivent leur légère inclinaison
à leur origine tectonique. En effet, ils sont rarement plein vide, d'où la
profusion de fractionnements. La ligne générale elle-même en découle. Chaque
cheminée est décalée par rapport aux autres selon l'axe de la fracturation. La
cheminée est donc légèrement infléchie vers l'extérieur du plateau, très
proche.
En général, la transition
entre deux conduits se fait par l'intermédiaire d'une courte galerie étroite et
oblique. La plus sérieuse, l'étroiture du Ventilateur Stroboscope (section
0,40xO,50m) est ainsi nommée parce qu'immanquablement le courant d'air fait
vaciller puis s'éteindre toute flamme.
Les bases des cheminées
formant salles (Bolino, Damoclès, Apocalypse) sont encombrées de remplissages
récents de blocs, dont l'origine est commune avec ceux de la trémie terminale.
Les 230m de la cheminée sont
intégralement parcourus par une coulée de concrétion en voie de
déminéralisation. Très gênante pour les escalades ainsi que pour les
équipements «en fixe», elle recouvre parfois les 3/4 de la section du conduit.
L'ensemble des parois est le plus souvent tapissé d'argile. Le mondmilch est
également très représenté sur les parties concrétionnées. Outre les coulées,
les concrétions sont présentes sous forme de quelques stalactites mortes et de
plusieurs stalagmites massives et courtes (0,50mmaxi.).
La cheminée, considérée
jusqu'à la crue comme totalement inactive, est en fait empruntée par l'eau
temporairement. Un débit d'environ 2 1/s a été enregistré lors d'un violent
orage localisé sur la partie accessible spéléologiquement du réseau. Sortant de
la trémie, l'eau cascade de haut en bas, excepté dans les 2/3 inférieurs de la
Cheminée Bolino. En effet, elle est alors absorbée par l'éboulis de la salle
des Chômeurs et résurge 50m plus bas.
Le terminus actuel est situé
approximativement à l'aplomb de la crête sommitale du Cirque des Foules,
culminant à 1131 m. La trémie étant à l'altitude de 946m, cela laisse un
potentiel maximum de 185 m supplémentaires.
TECHNIQUES
D'ESCALADE
L'ascension a été réalisée en 23 sorties étalées sur trois années, ce qui
représente une progression moyenne de dix mètres par séance. Les équipes ont
été très souvent réduites à deux personnes. Dans la majorité des cas,
l'escalade s'arrêtait à cause d'impératifs horaires. Environ 95% e la
dénivellation ont été surmontés en escalade artificielle, avec l'aide seulement
'étriers. L'emploi de tétraèdres, ou de plate-formes d'escalade, n'a pas été
retenu. Ces instruments, doublant la distance entre les amarrages, y exercent
des contraintes trop importantes. La nature des parois rencontrées n'a jamais
été totalement satisfaisante. Seul un mât, non disponible à demeure, aurait été
utile à chaque nouveau «départ».
La majorité des amarrages a
été réalisée avec des spits, après décapage de l'enduit de la paroi, parfois
épais de 10 cm. Quelques amarrages naturels ont pu être utilisés, soit sous
forme de becquets rocheux, soit sous forme de concrétions (peu fiable !). Des
pitons en acier indéformables ont été indispensables lors des passages dans la
calcite tendre.
Le grimpeur, assuré par une
corde dynamique, tirait toujours avec lui une corde statique destinée à équiper
la partie escaladée. Elle permettait en outre les manœuvres de matériel et de
vivres. Une fois les sommets atteints, les voies de descente ne passaient par
forcément par s voies de montée, d'où de nombreux pendules obligatoires et
acrobatiques pour déséquiper.
ET DEMAIN ?
Avec cette cheminée, explorée jusqu'à 263m, la
grotte des Foules vient talonner de près les plus profondes cavités de Franche‑Comté
avec ses 353m de dénivellation totale. De plus, elle n'a pas dit son dernier
mot. Pour l'instant, aucune prospection en surface n'a permis de déceler un
orifice capable de jonctionner avec le sommet de la cheminée. Mais le
franchissement de la trémie terminale pourrait bien nous réserver quelques
surprises heureuses.
Pour conclure, il nous parait
nécessaire de préciser que toutes ces explorations n'ont été réalisées que par
des spéléos locaux. En étant sur place, ils ont pu «épier» presque chaque jour
les variations de niveaux, et cela aussi bien aux résurgences qu'à l'intérieur
de la grotte. Seules ces observations attentives accompagnées d'une météo
favorable permettent des incursions de longue haleine dans le réseau.
(1 ). La grotte
des Foules C, ainsi que d'autres cavités du Cirque des Foules et de la région
san‑claudienne, contient dans ses premières salles des gravures schématiques
qui n'ont pu être rattachées à un contexte historique précis et appartient peut‑être
à un culte chtonien.
(Colin J.,
1958).
(2). Ce
développement correspond aux travaux topographiques de R. Le Pennec; Le SC San‑Claudien,
quant à lui, annonce 5750m explorés.
(3). Lésines :
grandes diaclases verticales pouvant
atteindre de très grandes profondeurs.
(4). Voir le
paragraphe «Historique» dans l'article de R. Le Pennec.
(5). Après un
sauvetage réalisé en plongée par le Spéléo‑secours du Jura (SSF).
BIBLIOGRAPHIE
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sportive dans le Jura franc‑comtois. Edisud, pp. 74‑80.
COLIN (J) ‑ 1958 ‑ Les gravures magiques
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plément
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COLIN (J) ‑ 1964 ‑ Sous le plancher. Bull. du SC Dijon, 111 ‑ 4, pp.
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haute chaîne du Jura entre Morez, Saint‑Claude et la Pesse. Thèse de
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