Robert Le Pennec
Bulletin annuel N° 29 2006 Des Amis du Vieux Saint-Claude (Jura)
L’auteur : Robert Le
Pennec est membre des Amis du Vieux Saint-Claude et mène depuis de nombreuses
années des recherches dans les domaines de la spéléologie, de la géologie et
du patrimoine industriel. En particulier : Tuiles et tuileries du
Haut-Jura, étude menée en collaboration pour le Parc Naturel Régional,
publication Les Amis du Vieux Saint-Claude, bulletin n°24, 2001.
Les traces de fours à
chaux sont nombreuses dans la montagne jurassienne. A travers la recherche de
leurs restes et le témoignage des archives, c’est une partie de la vie des
paysans haut-jurassiens au XIXe
siècle qui est évoquée et en particulier l’émigration temporaire. Mais,
auparavant il nous semble utile de donner quelques informations générales sur
la chaux et sa fabrication.
I
- LA CHAUX : GENERALITES
La chaux doit être considérée
comme un produit naturel,
puisqu’elle dérive du calcaire – roche bien représentée dans le Jura –
par simple calcination (combustion à haute température) et hydratation.
Le cycle de la chaux :
schéma
A. La chaux et
l’histoire des hommes
Il est probable que l’
homme de la Préhistoire a découvert la chaux en
maîtrisant le feu.
Les pierres calcaires
qui entouraient ses foyers brûlaient et finissaient par se décarbonater
donnant de la chaux vive. Puis la pluie tombant sur ses foyers, transformait la
chaux vive ainsi hydratée en chaux éteinte. Mais l’homme préhistorique
utilisait il la chaux ?
Les premières traces de
fabrication de la chaux remontent à 10 000 ans environ. La plupart des peuples
de l’Antiquité : Egyptiens, Etrusques, Phéniciens, Grecs, Romains
l’utilisaient comme mortier. Les Romains étaient parvenus à améliorer la
qualité de ce dernier en y ajoutant de la brique pilée.
Au XVIIIe siècle,
l’anglais Black et le français Lavoisier décrivent les réactions chimiques
conduisant à la chaux. Puis les savants Vicat, Debray et Lechatelier complèteront
leurs travaux et permettront le développement de ses multiples utilisations
dont le tableau suivant donnera une idée :
Production
et utilisation de la chaux en 1988 en France :
Sidérurgie
1
590 000 T 51%
Agriculture
311 000 T
10%
Routes
et
stabilisation
des sols 301
000 T
9,7%
Traitement
des eaux 207
000 T
6,7%
Exportation
(hors
sidérurgie) 150 000 T
5,1%
Traitement
des
métaux
non ferreux 107
000 T
3,5%
Industrie
chimique 105
000 T
3,4%
Matériaux
de
construction
et
bâtiment
71 000 T
2,3%
Papeterie
69 000 T
2,2%
Epuration
des fumées 38
000 T
1,2%
Carbure
de calciom 35
000 T
1,1%
Divers
105 000 T
3,3%
TOTAL
3 089 000 T
100%
B. Techniques
artisanales de la fabrication de la chaux.
four artisanales
Dans notre région, aux siècles passés, la fabrication de la chaux a été essentiellement
artisanale, comme le laisse supposer l’article suivant paru dans l ‘Annuaire
du Jura en 1840 (page 309) :
“ Chaux
commune ”
“ Cette
matière si utile aux arts et surtout à l’architecture, s’obtient, comme
chacun sait, par la calcination de pierres calcaires. Dans le département du
Jura, dit à ce sujet M. Guyétant, on procède à cette calcination en faisant
sur le terrain-même où se trouve des amas de pierres calcaires, des espèces
de fours avec des branchages et de grosses perches destinées à la contenir,
procédé qui coûte beaucoup de bois mais qui est d’un usage général. Les
morceaux calcinés se débitent dès que le four est refroidi ; autrement
il y aurait perte pour le propriétaire qui a calculé sur le temps le plus
favorable à ce genre de fabrication. La chaux ne s’exporte guère hors de
l’enceinte du département du Jura, si ce n’est pour le service de la plaine
dans les département de Saône et Loire et de l’Ain. ”
Je me suis posé la
question suivante : “ Comment faisaient nos anciens pour savoir si
la pierre convenait à la fabrication de le chaux ? ” Sans doute
procédaient-ils tout simplement par des essais, à partir desquels ils acquéraient
le savoir leur permettant de reconnaître au premier coup d’œil le type de
roche requis.
Les fours à chaux les plus
primitifs correspondent à un travail artisanal. Le four est petit et il utilise
au mieux la topographie et la nature du terrain sur lequel il est construit.
1) Le four gallo-romain
ressemble beaucoup à celui du Moyen Age. Il est difficile sans matériel archéologique
de faire la différence. Ce sont des fours en fosse ronde. Il semblerait que le
four gallo-romain soit mieux construit. Le foyer et l’aire de chauffe sont bâtis
en petits blocs calcaires assemblés par du mortier. Parfois ils peuvent être
couverts par une petite structure en bois destinée les abriter des intempéries
(exemples : Beaucourt, Grands’Combes dans le Jura suisse, canton du
Jura).
2) Le four médiéval
apparaît plus rudimentaire. Il utilise souvent la pente d’un versant pour
creuser plus facilement le foyer et placer l’ouverture en contre-bas.
C. Techniques
industrielles de la fabrication de la chaux
L’ encyclopédie de
Diderot et d’Alembert nous apprend que dès la fin du XVIIIe siècle,
les fours sont déjà solidement construits en pierres et briques .
Leurs dimensions sont plus
considérables que précédemment : ils sont souvent sur plan carré de 4 mètres
par 4 mètres et leur hauteur est de 8 à 10 mètres. On enfournait par le haut.
Le foyer, à la base est construit en briques.
À Saint George (Canton
Vaudois), les fours de Côte
Malherbe datant de 1857 en donnent une image. Restaurés en 1991, ils ont été
mis en marche la même année. Ils ont ensuite fonctionné entre le 16 et le 24
août 2003, grâce au chaufournier Paul Monney.
Aujourd’hui, en France,
la chaux est produite en usine : ainsi l’usine Balthazard et Cotte à
Poliénas (Isère). La surface de l’usine avec la carrière est de 24
hectares. L’usine possède 3 fours, emploie 27 personnes et produit 100 000 T
par an. L’usine est accrochée au flanc de la montagne. Il n’y a
pratiquement pas d’interruption entre la carrière et l’usine. Les blocs de
calcaire sont concassés, triés et acheminés directement dans les fours par
des tapis roulant. A la sortie des fours, la chaux est séparée en deux parties :
la chaux vive et une partie qui sera hydratée ;
le tout est conditionné en
camions citernes, big bags ou sacs.
Le transport se fait par la route ou par chemin de fer ( la gare juxtapose
l’usine).
Je tiens à remercier le
directeur M Romanotto pour son
accueil et pour les explications fournies pendant la visite de l’entreprise.
four aujourd’hui
II – LES FOURS A CHAUX DE LA REGION DE SAINT-CLAUDE
Un inventaire, des vestiges
archéologiques, des ruines, complétés par divers documents d’archives
permettent de donner une idée du nombre et du type de fours à chaux présents
au XIXe siècle dans la région de Saint-Claude.
A.
L’inventaire des fours à chaux du Jura (1828-1947)
124 fours sont cités dans
un inventaire effectué dans le Jura entre 1828 et 1947. Il a pu être établi
à partir des déclarations dont devaient faire l’objet les fours temporaires
et des autorisations nécessaires à la création de fours permanents, déposées
auprès des communes, de la préfecture, et de l’administration des Eaux et
Forêts.
Ainsi en 1880, aux
Fraîtes (commune de Valfin), Mr Gauthier Séraphin déclare la
construction d’ un four à chaux temporaire près de sa maison qui a
besoin d’être réparée.
La même année aux Perrières(
quartier du Grand plan, commune de Saint-Claude), Monsieur Dumont Eugène
demande l’autorisation d’installer un four à chaux permanent afin de
profiter des déblais des carrières municipales et privées. Là, la
construction est plus aboutie et la chaux est revendue.
Très souvent de tels fours sont alimentés au charbon.
Outre ces deux
installations, l’inventaire en signale d’autres :
1) Sur le territoire de la commune de Saint-Claude :
1807
- Reymond (Combe de Tressus) – four temporaire
1880 -
Amy (Le Finet) - four temporaire
1882
- Roy Louis (Très Bayard) – four permanent (voir ci-dessous)
De plus les archives
municipales nous apprennent qu’en 1736 Humbert Romand des Champs de Bienne eut
un procès avec la Ville de Saint-Claude au sujet de coupes de bois effectuées
sur le territoire communal.
2)
Dans les communes voisines :
Chassal : 1882 -
Cautez Julien de Molinges (au lieu dit “ Scierie de Molinges) demande
l’autorisation d’établir un
four permanent pour utiliser les débris de coupes de bois, le 7avril 1882.
Leschères :1892
- Bourgeat Jules, cultivateur à Leschères, demande l’autorisation
d’établir un four permanent qui sera chauffé au charbon au lieu dit Sur la
Ville.
Chaux des prés :1892
-déclaration de 3 fours à chaux temporaires
B. Les vestiges de terrain des fours artisanaux
Si les fours à chaux
industriels du XIXe siècle sont souvent bien conservés et debout,
ce n’est pas le cas pour les fours plus anciens en cuvettes. Ils ne sont
pas très spectaculaires et difficiles à repérer sur le terrain. Mais une fois
l’œil averti, on commence à en trouver partout, en forêt notamment. Par
exemple à Château des
Prés, nous en avons repéré
trois le même jour.
Dans les bois on observe
souvent autour de l’ancien four un anneau de pierre d’au moins un mètre
d’épaisseur et d’un peu moins d’un mètre de hauteur.
Quant aux fours à chaux se
trouvant dans les prairies et les zones cultivées, ils ont fréquemment été
arasées par le remembrement , les pierres supérieures ayant été enlevées.
La forme en cuvette circulaire, si elle est préservée dans la topographie peut
se confondre aisément avec une forme karstique, une doline de petites dimensions : 3 à 5 mètres de
diamètre et 0,5 à 1 mètre de profondeur. Alors, seul un sondage peut
confirmer leur présence, s’il permet de trouver des débris de chaux et au
fond des traces de charbon.
Pour orienter les
recherches sur le terrain, les noms des lieux dits ou les traditions orales
locales apportent des indications intéressantes, que les procès et les actes
de propriété conservés aux archives dans lesquels les fours sont souvent
mentionnés. Ainsi dans la Combe de Tressus, un acte de contentieux daté de
1788 signale 3 fours en limite de
propriété (archives municipales de Saint Claude).
B. Histoire d’un
complexe industriel ancien : l’usine à chaux lourde et ciment de Trébayard
Photo Four Trébayard
PLAN
1)
En 1886, quatre ans après son installation, l’Abbé Bourgeat , après
l’avoir fait visiter à la Société
géologique de France, écrit à son propos :
“ Un plan incliné des plus commodes et des plus sûrs, des fours variés, des appareils de broyage excellents font de son usine une des plus remarquables qui existent. Aussi pendant la dernière course que la Société géologique de France a faite dans le Jura, plusieurs des Ingénieurs des Mines présents se sont-ils détournés de la voie que l’on suivait pour aller aux Pontet, afin d’examiner de plus près l’outillage de Monsieur Roy. Je n’ai pas besoin de dire qu’ils en sont revenus très satisfaits, tant à raison de l’excellence de cet outillage que de la façon cordiale avec laquelle ils ont été reçus.
Une
première analyse approximative des ciments de Trébayard a été faite il y a
quelques années par mon regretté collègue
à la Société Géologique de France, Emile Benoît. Ce travail a été
repris avec plus de soin depuis cette époque par M. l’Ingénieur Carnot de
l’Ecole des Mines, et voici les résultats auxquels il est arrivé :
Silicate
14
Peroxyde de fer
3,3
Chaux
36
Magnésie
3,9
Perte par calcination
35,8 Pour 100.
Ce qui correspond à peu près à 24% d’argile sur 76 de calcaire, chiffres très voisins de ceux que l’on regarde comme typiques des ciments lents. Les meilleurs en effet de ces ciments sont obtenus avec des marnes, où la proportion de l’argile au calcaire varie entre 25/75 et 21/79 sur cent. ”
(Bull. de la Soc. d’Agric., Sc. et Arts de Poligny
1886 n°7 p.193-197)
2) Ensuite son évolution
se suit à travers les procès verbaux de visite des mines conservés aux
archives départementales :
- 1893 :
L’usine a de nouveaux propriétaires : Augustin Berthod et Alfred
Maitrugue.
Une galerie de 6 m hauteur
exploite 2 bancs calcaires de 3 m chacun. C’est la seule carrière souterraine
du Jura. Le personnel est composé de 3 ouvriers. La production est de 1200
tonnes de chaux par an.
Remarque : Barthod est
un grand propriétaire : scieries à Mijoux, scieries au Pont du Diable,
Comptoir de vente des chaux et ciments à Belley (Ain), Comptoir de vente des
chaux et ciments du bassin de Virieu le Grand,de la Savoie et du Jura, commerce
de bois (maison à Bourg), associé de la Maison Duvanel
fabricants de chaux et ciments à Moiraigne ( Suisse).
- 1896 : extensions
de l’entreprise. La carrière souterraine possède 3 galeries (longueur :
36 m, 52 m, 56 m ; largeur : 5 à 6 m ; hauteur : 6 m). On
se sert de poudre de mine pour exploiter le calcaire La production est de 4000
tonnes de chaux et le personnel est de 5 ouvriers. Deux fours fonctionnent de 70
m3 chacun.
- 1898 :
Une nouvelle galerie permet de faire la jonction entre les galeries supérieures
et la galerie inférieure, ce qui fait que le calcaire est exploité sur 12 à
13 m de hauteur. La pierre est sortie par la partie inférieure puis amenée par
un plan incliné sur deux fours anciens (usine du site supérieur). Une nouvelle
usine (site inférieur) a été créée à l’aide de dynamite (40 kg). Pour
l’alimenter un câble aérien de 65 m de longueur pour 150 m de dénivelée a
été posé. Quatre sapins
entretoisés portent des poulies sur lesquelles passent le câble. Il permet de
descendre une caisse en tôle d’un demi-mètre cube qui arrive sur quatre
fours de 25 à 30 m3 chacun. Des silos peuvent emmagasiner 4 à 5000
tonnes de chaux.
La force pour les broyeurs
est fournie par une turbine qui a servi à une scierie de bois ( hauteur de la
chute 65 m)
Photo papier à en tête Usines de Trébayad.
Le chanoine Bernard Secret dans ses notes d’histoire sanclaudienne (Le Courrier, année1963) donne la raison de la création de l’usine inférieure : la venue du charbon.
“ Car précédemment les fours à chaux…étaient chauffés au bois. Et Trébayard était bien placé à cet égard, au pied des prés-bois de Trélasive, dont nous avons parlé. Mais avec le chemin de fer, amenant désormais le charbon jusqu’à Saint-Claude, il était plus facile de chauffer et d’augmenter le rendement industriel. Pour éviter de monter le charbon depuis le bas de la rue Christin jusqu’à Trébayard, Berthod avait jugé plus rentable de transporter les fours à chaux antiques, quelques centaines de mètres plus bas, au Pont du Diable. C’est donc le charbon moderne qui a fait redescendre les fours. ”
3) Le début du XXe
siècle est marqué par de nouvelles transformations tôt suivies du déclin.
- 1900 : Barthod
s’associe à Duret
- 1906 : Berthod est
seul propriétaire. Le 19 janvier 1906 il adresse une lettre à la commune
Saint-Claude demandant l’ouverture d’une carrière à ciel ouvert et déclarant
la cessation de l’exploitation de la carrière souterraine. Il est précisé
que la carrière sera située à plus de 100 m de toute habitation, à 80 m des
bâtiments de l’usine et à 450 m de la route.
- 1910 : c’est le déclin.
Dans une lettre du 31 décembre 1910, Henri Dervant, alors
seul propriétaire, informe la municipalité de Saint-Claude de la
cessation complète de fabrication de chaux à l’ usine de Trés Bayard et, en
conséquence, demande la suppression de la patente pour l’année 1911.
Que peut -on voir encore
sur le site aujourd’hui? La carrière, les socles des pylônes, l’ usine supérieure,
les deux fours supérieurs, les fours inférieurs, l’ usine inférieure, le
pont, l’arrivoir, la turbine.
Plombs de sertissage des sac de chaux issus de l'usine de Trébayard.
III. FOUILLES ET
RECHERCHES RECENTES A VALFIN-LES-SAINT-CLAUDE
Les fouilles et les
recherches concernent l’ancienne commune de Valfin autrefois réputée pour
ses chaufourniers et qui, dans son hameau des Prés, possède un four.
A. La fouille du four des
Prés de Valfin
Les vestiges du four,
actuellement situé sur la commune de Saint-Claude (cadrastre 541 ZA –110 A et
B), sur un terrain appartenant à Mme Monique Bourgeat (épouse Carrard), nous
ont été signalés le 23 04 2004 par Odile Pitton (elle-même descendante des
Bourgeat). Les fouilles se sont déroulées du 24 septembre 2004 au 24 octobre
2004 pendant les trois week ends (autorisation n° 2004 / 147délivrée par
le Service Régional d’Archéologie pour
l’association Jura Patrimoine). Ont participé aux fouilles :
-Jura Patrimoine :
Robert Le Pennec, Aldric Le Pennec.
-Amis du Vieux Saint-Claude :
Michel Jeantet, Salvator Bollogna, Véronique Rossi.
-Musée d’archéologie du
Jura : Marie Jeanne Lambert, Benjamin Lambert, George Lambert, Aude Leroy,
Sarah Cremer, Sébastien Durost.
-Archéologue cantonal
suisse : François Schifferdecher.
-Particuliers : Mme et
Mme Roy Bernard.
Nous avons choisi de
fouiller le four des Prés de Valfin pour les raisons suivantes :
- la partie supérieure
semblait être conservée : le four se signale dans la topographie par la
butte
- il est situé au bord
d’un chemin, donc facile d’accès,
- il se trouve en plein
champ, donc pas de racines d’arbres pour entraver les travaux,
- il est présent sur un
terrain privé dont les propriétaire
ont bien voulu accepter la fouille.
- enfin les Prés de Valfin
sont le hameau dont est originaire la famille Bourgeat, qui compta
plusieurs générations de chaufourniers.
Description de la coupe du four de bas en haut :
(1) Le four repose sur les
marno-calcaires de l’ Argovien (étage du Jurassique supérieur) et se
signale dans la topographie par une butte.
(2) Il consiste en un anneau
de terre marron avec gros blocs épars de calcaire délimitant une cuvette
de 6 à 8 mètres de diamètre.
(3) Sur les parois de la cuvette on observe, côté extérieur,
des traces de charbon et, côté intérieur, un revêtement de chaux
rubéfiée d’environ, 4 à 5 centimètres d’épaisseur. Au fond on
trouve 5 et 10 centimètres de charbon de bois constitué de brindilles (3 bis).
(4) La zone de chauffe était
remplie de chaux grasse, blanche, avec des zones verdâtres. Sur un des côtés,
au nord ?, il y a une ouverture (0,40m par 1m de dimensions) dont
les parties supérieure et inférieure sont constituées de grandes dalles de
pierre inclinées vers l’intérieur (4 bis).
(5) La partie supérieure
du four consiste en une voûte de petites dalles de 15 par 20 à 30 centimètres
et de 5 centimètres d’épaisseur, inclinées à 45° vers l’intérieur du
four. Les dalles sont posées sur un mortier
ou une zone rubéfiée qui peut être aussi le rebord d’un ancien four.
(6) Le four était fermé
par un dôme de terre et d’argile, détruit à chaque utilisation, et posé à
côté du four.
coupe
du four PRE DE VALFIN
Deux problèmes :
La couche (3)
correspond-elle à la trace d’un ancien four, comme le suggère la présence,
du côté extérieur au four, contre la couche (2), de trois à quatre millimètres
de charbon ? Ou bien s’agit-il d’un
enduit posé lors de la construction du four qui aurait durci lors des cuissons
de la chaux, les quelques millimètres de charbon résultant alors d’un feu
allumé lors de la préparation de la fosse ?
Par ailleurs l’ouverture
qui avait peut être servi lors de la mise à feu du four s’est révélée
avoir été abandonnée et comblée lors des cuissons suivantes. La fermeture
semble tout à fait hermétique. Pendant quelques temps, les chaufourniers ont
peut être imité ce qui se pratiquait en Suisse. Nous n’avons pas trouvé de
deuxième ouverture à l’opposé de l’évent (4bis). Il semblerait que ce
modèle de four plus rudimentaire était le plus couramment utilisé.
Nous remercions Monique
Carrard, propriétaire, d’avoir accepté la fouille, Monsieur Duffourg Michel,
adjoint au maire de la commune, Madame Thérèse Brunet des Prés de Valfin, la
famille Bourgeat et Monsieur et Madame Javouret de Leschères pour leur visite
sur le terrain des fouilles.
B. Les chaufourniers
Les Amis du Vieux
Saint-Claude possèdent deux carnets de chaufournier ; ce sont ceux d’
Alexis Vuillermoz de Valfin (1839 – 1855) et d’ Onézime Bourgeat
(1869 – 1876) des Prés.
Le village de Cinquétral
avait aussi de nombreux chaufourniers comme l’attestent “ les
passeports pour l’intérieur ” ( Police Générale de l’Empire)
– année 1810. Ils avaient déjà été signalés par le Général Vautrey
dans le Bulletin des Amis du Vieux Saint-Claude n° 7 – 1984 – p 25 :
“ Ceux de Cinquétral vont s’employer aux fours à chaux et aux
chemins ” Très souvent les
chaufourniers s’employaient aussi à la construction des murs et autres
travaux.
1) Les carnets
carnet de Onézime Bourgeat
Un carnet comporte le
signalement du chaufournier (identité), le lieu de son travail et le nom du
commanditaire, la certification du maire de la commune d’origine pour le déplacement
du chaufournier (aller et retour), enfin une note d’appréciation du
commanditaire sur le travail effectué, qui précise aussi la période de
travail.
Chaque mission du
chaufournier est inscrite sur le carnet, ainsi Onézime Bourgeat a travaillé
essentiellement dans le Val de Travers en Suisse (canton de Neuchatel) de 1869
à 1876.
2) Le contrat de travail.
Les chaufourniers reçoivent
des contrats de travail datés, portant mention outre du nom du commanditaire,
de celui de la commune où seront construits les fours. On sait ainsi que les
Bourgeat des Prés de Valfin ont été chaufourniers en Suisse dans le Val de
Travers (Saint Sulpice, Malmont près de Couvent, paroisse des Bayards, Butte,
Boudy, Fleurier) et près de Nyon (Arzier le Muids)
Photo
F.R.Bourgeat et maison Bourgeat
Dans le contrat sont également
précisés le nombre de fours à chaux à construire, leur contenance, la nature
et le lieu de provenance du bois à couper et à utiliser, le lieu
d’extraction de la pierre, le salaire.
Exemple d’un contrat de
travail :
Arzier le Muids 1862 (Nyon)
Sur la montagne des Bioles
et d’Arzière
Conditions pour la
confection d’un four à chaux à l’Arzière – 12 mai 1862 :
Art 1 : L’entrepreneur François Amédée Bourgeat s’engage à confectionner un four à chaux à la Montagne de l’Arzière sur l’emplacement qui lui sera désigné par la municipalité ou ses délégués.
Art 2 : Ce four devrait
avoir pour dimensions, 10 pieds de diamètre
à la base, sur au moins huit pieds de hauteur, à partir du niveau du
sol ou de la base au sommet.
Art 3 : L’entrepreneur
travaillera à la confection du four en question sitôt que celui des Bioles
sera cuit et débité et devra continuer ce travail sans interruption jusqu’
à complète cuisson de la chaux.
Art 4 : Il coupera
proprement les bois qui lui auront été désignés pour cuire le four ; il fera
en sorte de ne couper que la quantité nécessaire à cet effet.
Art 5 : Dès que le four
à chaux sera construit, la Municipalité pourra vérifier les dimensions pour
s’assurer si elles sont conformes à l’article 2 des présentes ; elle
s’assurera aussi par elle – même
ou par délégation, si la chaux est bien cuite et bien conditionnée.
Art 6 : Après que les
travaux seront complètement terminés et reconnus faits de toutes manières, au
contentement de la Municipalité, il sera payé à l’entrepreneur, par la
Commune pour ce travail, la somme convenue entre
parties, de cent cinquante francs.
Art 7 : L’entrepreneur
est responsable de tous dommages intérêts envers la Commune, dans le cas de
non exécution des présentes conditions.
Signé F A Bourgeat
Pour extrait conforme au
registre p 463, à la date du 12
mai 1862, attesté à Arziers, le 7 juin 1862.
De nombreux courriers
conservés par la famille Bourgeat nous donnent des informations sur la vie
quotidienne tant en Suisse qu’en France.
Exemple :
Fleurier le 23-9-1855 (mon adresse est à Fleurier chez le père
Rosselet)
Cher
fils
“ Je
te fais part de ces lignes pour te dire que nous sommes arrivés à bon port et
que nous nous portons tous bien Dieu grâce je désire de tout mon cœur que la
présente vous trouve de même. Depuis notre arrivée nous avons chance
d’avoir le beau temps. Nous avons passablement avancé cette semaine si le
temps peut continuer nous pensons de mettre le feu mardi prochain en huit.
Depuis que nous sommes dans ce pays voici quelques jours que la maladie de la
pomme de terre se manifeste avec rapidité, je désirerais savoir si cela est la
même chose dans notre pays. C’est pourquoi je profite avant ton départ pour
avoir une réponse pour Dimanche prochain comme nous ne dessandons que le
dimanche a cause de l’éloignement et que nous n’avons plus que comme je dis
dimanche prochain avant de mettre le feu. Tu tâchera de nous réecrire dessuite,
tu me diras si vous avez racheté un beuf et si comme je pense vous avez arraché
les pommes de terre des combes avant ton départ. Tu me diras si tu as trouvé
une mâle pour mettre tes effets. Je pense que tu partira samedi prochain, tu
pourras dire à l’oncle Onézime d’aller avec toi si cela ne le gênait
pas pour la mâle. Tu pourrais la
faire dessandre à St Claude par occasion et l’adressé par une étiquette
chez Mr Clément Instituteur à Moirans et tu pourrais en t’informant
du prix je crois qu’il ne t’en coutera pas plus en partans depuis St Claude
avec ta mâle et par ce moyen tu n’aurais pas besoin de personne avec toi
parce qu’un voyageur peu avoir un paquet de tans pesant avec soi. Je pense de
m’en retourner dès aussitôt que ce chaufour sera prêt. Je t’irez voir le
premier dimanche de mon arrivée, je n’ai pas le temps de t’en dire
d’avantage. Tu préviendra Mr le Curé de ton départ enfin tu me diras
si vous avez bien fini de moissonner. Rien d’autre à vous dire qui mérite
votre attention. Je finis en vous embrassant tous de cœur et d’affection.
Fs
Ris Bourgeat
Tu
me diras aussi si la maladie du betaille se fait sentir dans notre localité. Tu
diras à la femme de Perrier qu’elle mène sa vache à la foire du mois
prochain et si elle trouve à le vendre à la maison qu’elle le fasse. Je
pense que nous serons à la maison contre le 19 du mois prochain si on est pas
contrariés. Il sera encore assez vitte pour arracher les pommes de terre. Je
n’ai pas plus de place pour t’en dire davantage mais nous désirons bien
savoir si les pommes de terre gatent.
Exemple
Lettre : aux Prés de
Valfin le 5 juillet 1863 :
Mon
cher père
“ Nous avons bien des maux pour finir de semer à cause du mauvais temps…. nous n’avons pas ressemé le champs de Sur La Côte ….que nous avons planté les choux et que nous avons re bêché les pommes de terre du Tardieux que nous avons tout rempli et des Combes aussi… nous n’avons pas fait la tourbe mais nous ne sommes pas les seuls…je vous dirais que j’ai quitté l’école sur la fin avril et que je n’ai seulement recommencé que le 10 juin…il y aura du foin, mais les blés seront retardés, on on peux encore rien dire, seulement si le mauvais temps continu, ils sont perdus parce que l’eau les cuit et les remplie d’herbe…. ”
je
suis pour la vie votre affectionné fils.
Félicien
Herman Bourgeat
Ajoutons que la poste de
Valfin-lès-Saint-Claude est mise en cause au cours d’une séance du conseil
municipal de Valfin. Le 7 août 1864 il lui est demandé d’assurer une
desserte plus régulière. Les
lettres qui arrivent le dimanche ne sont distribuées que le mardi suivant. Ce
retard impute des pertes de marché pour les chaufourniers qui vont dans l’Ain,
le Doubs et même en Suisse.
CONCLUSION
Aux siècles derniers, la
fabrication de la chaux a donc suscité dans la région de Saint-Claude une émigration
estivale vers la Suisse voisine. De part et d’autre de la frontière, elle a
été essentiellement artisanale et s’est effectuée sous des formes
temporaires pour répondre à des besoins locaux de construction et de réparation
de murs.
C’est ainsi que dans les
fermes et habitations du Haut Jura, la chaux est présente sur toute l’épaisseur
des murs :
1 – dans le ciment qui
assemble les pierres : il s’agit d’un mortier de chaux avec cailloutis
ou sable à grains grossiers et anguleux.
2 – dans le crépi
grossier constituant une première couche de revêtement (3 mm d’épaisseur) :
la chaux cimente un crépi grossier avec le sable tamisé à petits grains
anguleux (il est possible que pour les maisons situées le long des rivières,
les élément soient arrondis),
3 – à l’état d’une
seconde couche de revêtement de couleur blanche (1 à 2 mm d’épaisseur) ,
4 –diversement teintée
dans le badigeon extérieur : en rose souvent ( exemple maison de
Montbrillant, probablement une ancienne auberge qui était située à la fin de
la route et en face du chemin des moines), en vert ou d’une autre couleur sur
les entourages de fenêtres, de lucarnes et des autres petites ouvertures. Ces
colorations peuvent prendre l’aspect de faux appareillages soulignés en rouge
ou blanc. A Montbrillant elles dessinent un décor en carrés où figurent des
formes géométriques dont certaines en cercles.
Montdrillant 1 et 2
Remerciements :
Véronique Rossi, Monique
Carrard, propriétaire aux Prés de Valfin, Marie Jeanne Lambert, DRAC :
Bruno Breart, JL.Odouze, Annick Richard, les fouilleurs,
Monsieur Le Directeur de l’Usine de Poliénas, Annie Reffay,
Mme Piton et la famille Bourgeat
Bibliographie
Sources manuscrites
Archives privées de la famille Bourgeat
Documents divers prêtés
par Mme Piton
Archives départementales du Jura
Série M (Administration
général et économie du département 1800 – 1940)
Direction Régionale des Affaires Culturelles, Besançon
Forestier F., Saint-Amour
découverte d’un four à chaux, lettre du 4 novembre 1977.
Archives municipales de Saint-Claude
Fond ancien :
“ Plan géométrique
du terrein contentieux entre Jean
Etienne Gruet Masson, dit Gaspard, de Septmoncel, demandeur, d’une part,
et Jacques Joseph Pernier, de Tressus, défendeur, d’autre part, le
terrein appelé en Combe d’Argier
ou la Magnine ” dressé par le sieur Molard, géomètre de la Grande
Judicature, 1788, coul, 79 x 50 cm.
Passeports de l’intérieur
pour les communes de Saint-Claude et Cinquétral.
Livret de chaufournier
d’Alexis Vuillerrmoz de Valfin 1839
– 1855.
Livret de chaufournier
d’Onézime Bourgeat de Valfin 1869 – 1876.
Ouvrages consultés
Aschenbrenner M., C.
Brossier, G. Chéron, R. et J.–P. Hamonière , Les fours à chaux de la Région
Dunoise , Bulletin de la Société
Dunoise 28200 Châteaudun, N° 288, p. 7 à 29, 1998.
Beauvais M. Robic Y., Restaurer,
décorer à la chaux, Savoir - faire traditionnels, Le Grand Livre du Mois,
2003.
Bernadi P., Métiers
du bâtiment et techniques de la construction à Aix-en-Provence à la fin de
l’époque gothique (1400-1550), Publications de l’Université de
Provence, 1995.
Billoin D., Lavancia
Epercy (39) “ En vignolle ” site 39 44 06 Document de synthèse
de sauvetage urgent, Direction des Affaires culturelles, Service Régional
d’Archéologie de Franche Comté, Association pour les fouilles archéologiques
Nationales, Février 2000.
Biston V., Manuel théorique
et pratique du chaufournier, Léonce Paget Paris, 1981.
Bourgeat
Abbé, L’usine à Chaux lourde et ciment de Trébayard, Revue
agricole, Société d’agriculture de Poligny, 1986.
Cantrelle S., Magnin M.,
Paquier M., La fouille de sauvetage de Goux-les-Doles, l’occupation antique
et du Haut Moyen Age entre la Forêt de Chaux et La Clauge, Travaux, Société
d’Emulation du Jura, 1988.
Choël F., Les témoins
d’occupation protohistorique et l’établissement gallo-romain de Quintigny
(39) “ Champ de Mont ” et Ruffey-sur-Seille (39) “ La Vauchère ”
39 447 6, P. 97, AFAN Antenne
Grand Est , 1996 .
Claude
J., La chaux ses utilisations, Balthazard et Cotte/Techno-Nathan, 1990.
Delahousse S., Le
tadelakt, un décor à la chaux, Massin Paris, 2003.
Duthion M., Les voies
du sel de Salins à Lyon Histoires romancées, P.23, Rosay 2000.
Faure A. et R., La
chaux, Bibliothèque du Travail, Collection de brochures bimensuelles pour
le travail libre des enfants, 1948.
Hedley I. et Wagner J.J.,
Etude archéomagnétique du four à chaux de Goux-lès-Dole (Jura), Archéologie
Médiévale, XVIII, 1998.
Klauser M., Grand-Bois
– Four à Chaux XV ème siècle, Chronique des fouilles archéologiques,
Monuments historiques et archéologie, Canton de Vaux, 1994.
Leduc E., Chaux et
Ciments, Encyclopédie industrielle, J.-B ; Baillière et Fils, 1925.
Lips B., La fabrication
de la chaux ou “ le devenir du karst ” (à Java), Bulletin l’Echo
des Vulcains (association spéléologique de Lyon),
N° 61, 2004.
Magnin M.,
Bruand A., Hedley I. , Un four à chaux du Haut Moyen Age à Goux-lès-Dole
(Jura), Archéologie médiévale, XVIII, 1998.
Nicolas I. et Aubry D.,
Boncourt, Grands’Combes Exploitation de la chaux à l’époque moderne,
habitat de la Tène finale et traces d’occupation du Bronze moyen, du Néolithique
et du Moustérien , Archéologie et Transjurane N°96, Office du Patrimoine
Historique de Porrentruy, Jura suisse,2001.
Othenin-Girard B., Aubry
D. et Detrey J., Exploitation de
la chaux, faune glaciaire et traces d’habitats de l’âge du fer à Boncourt,
Grands’Combes, Archéologie et Transjurane N° 105, Office du Patrimoine
historique de Porrentruy, Jura suisse, 2003.
Othenin-Girard B., Aubry
D. et Detrey J., Exploitation de
la chaux et traces d’habitats protohistoriques à Boncourt, Grands’Combes,
Archéologie et Transjurane N° 114, Office de la Culture Porrentruy, Jura
suisse, 2004.
Secret B.Chanoine, Un
complexe industriel ancien, Le Courrier, 14/12/1963
Thomas J., Fours à
chaux tuile et brique du Lochois en Touraine, L’Archéologie industrielle
en France Patrimoine Technique Mémoire, CILAC, N° 33, 1998.
Vautrey Général, La
vie dans le canton il y a 150 ans, Bull Amis du Vieux Saint-Claude, N°7,
1984.
X, L’industrie des
plâtres, chaux et ciments, L’illustration économique et financière, Le
Jura, suplément au N° du 13 juin 1925.
X, Les chaufourniers
Témoignage sur un métier d’hier, Gavroche, Edt Floréal Evreux, N° 24,
19 ??.
X, Fouilles archéologiques
du parvis de la cathédrale, Musée des Beaux Arts, Chartres, 1991.
X, Commune 370 – 24
Commune de Mathey, Carte archéologique de la Gaulle , 2001.
Sites Internet
www.ecole-avignon.com/technique/types-chaux.htm